Valorisation verte des déchets organiques : la méthanisation
Rapporteur général du 114ème Congrès des notaires de France
Rencontres Franco-Chinoises du droit et de la Justice – Pékin, le 23 septembre 2019
- La méthanisation : définition. - La gestion des déchets organiques fait appel à des procédés de traitement biologique aérobie, c’est-à-dire en présence d’air, ou anaérobie, c’est-à-dire en absence d’air. La voie de traitement aérobie, plus couramment appelée compostage, permet de transformer la matière organique et de produire un résidu solide appelé compost. La voie de traitement anaérobie, ou méthanisation, conduit à la production d’une énergie renouvelable : le biogaz, et d’un résidu liquide ou pâteux : le digestat.
- Les utilités du biogaz et du digestat. - Le biogaz, essentiellement du méthane, est brûlé pour produire de l’énergie électrique et de la chaleur, ou directement injecté dans le réseau de gaz. Il s’agit d’une énergie verte, son procédé de fabrication permettant d’éviter l’émission du CO2 naturellement présent dans les matières organiques valorisées. Concernant le digestat, il peut être mis en maturation aérobie, séché ou chaulé. Sa fraction solide peut également être compostée ou co-compostée avec d'autres déchets ou produits organiques, par exemple des matériaux ligneux (issus du bois). Si ses caractéristiques chimiques et biologiques le permettent, il peut directement être épandu sur des sols cultivés. Le digestat contribue ainsi au recyclage de biodéchets et au retour au sol de matières organiques promues par l'agroécologie.
- Les déchets organiques concernés par la méthanisation. - La plupart des matières organiques sont susceptibles d’être décomposées et de produire du biogaz, avec un potentiel toutefois très variable. La méthanisation convient particulièrement aux substrats riches en eau, contenant de la matière organique facilement dégradable. Les déchets méthanisés peuvent être d’origine :
- agricole : déjections animales, résidus de récolte (pailles, spathes de maïs, etc.), eaux de salle de traite, etc. ;
- agro-industrielle : abattoirs, caves vinicoles, laiteries, fromageries, ou autres industries agro-alimentaires, chimiques et pharmaceutiques, etc. ;
- municipale : tontes de gazon, fraction fermentescible des ordures ménagères, boues et graisses de station d’épuration, matières de vidange, etc.
- Les avantages de la méthanisation. - La méthanisation de déchets organiques présente de nombreux avantages, au nombre desquels figurent :
- une double valorisation de la matière organique et de l’énergie (biogaz et digestat). Il s’agit d’un intérêt spécifique de la méthanisation par rapport à d’autres filières ;
- une diminution de la quantité de déchets organiques à traiter par d’autres filières ;
- une diminution des émissions de gaz à effet de serre à double titre :
- grâce à l’absence de stockage des déchets organiques recyclés,
- et grâce à la substitution du biogaz et du digestat aux énergies fossiles et aux engrais chimiques ;
- un traitement possible des déchets organiques graisseux ou très humides, non compostables en l'état ;
- sur les grandes unités, une limitation des émissions d’odeurs grâce au digesteur hermétique et au bâtiment clos, équipé d’un système de traitement de l’air performant.
- Les modes de valorisation du biogaz. - Il existe plusieurs modes de valorisation du biogaz :
- la production de chaleur : cette valorisation est intéressante lorsqu’il existe un besoin en chaleur constant et suffisant à proximité ;
- la production d’électricité : l’efficacité énergétique des installations n’est pas encore aussi élevée que celle des autres filières, mais les progrès industriels permettent d’espérer que ce retard sera comblé rapidement ;
- la production combinée d’électricité et de chaleur, ou cogénération : c’est le mode de valorisation du biogaz le plus courant. En plus de l’électricité produite grâce à un générateur, de la chaleur est récupérée, principalement au niveau du système de refroidissement. La cogénération présente l’avantage d’assurer une recette constante grâce à la vente d’électricité ;
- la production de carburant : pour être utilisé en tant que carburant pour véhicule, le biogaz suit une série d’étapes d’épuration et de compression. Cette filière est encore peu développée et concerne plutôt les flottes captives, mais c’est un type de valorisation qui pourrait augmenter à l’avenir.
- l’injection du biogaz épuré dans le réseau de gaz naturel : il s’agit du mode de valorisation le plus performant, économiquement et énergétiquement.
- La valorisation du digestat. - La qualité du digestat, conditionnant sa valorisation agronomique, dépend de plusieurs facteurs :
- la nature des déchets traités, notamment lorsqu’il s’agit de déchets ménagers ;
- l’efficacité des collectes sélectives :
- soit pour sélectionner les déchets fermentescibles,
- soit celles visant à écarter les déchets proscrits pour la méthanisation. Par exemple, les emballages destinés au recyclage et les déchets dédiés à un traitement spécifique ;
- l’efficacité des tris complémentaires en usine : l’affinage du digestat humide étant particulièrement délicat, il est préférable d’introduire un déchet sans matières indésirables dans le digesteur, afin d’éviter tout risque de colmatage.
- La méthanisation et les politiques publiques. - La méthanisation s’inscrit dans les objectifs de plusieurs politiques publiques :
- la politique des déchets :
- valorisation des déchets organiques,
- réduction de mise en décharge de matière organique ;
- la politique énergétique : production d’une énergie renouvelable non intermittente valorisable en électricité, chaleur, biométhane ou carburant
- la politique du climat :
- captation du méthane issu de la décomposition des déchets organiques,
- réduction des émissions de gaz à effet de serre ;
- la politique agricole : participation a une démarche agroécologique, par le respect de l’équilibre de la fertilisation et la réduction globale du recours aux intrants.
- La méthanisation et les activités agricoles. - Afin d’encourager le développement de la méthanisation « à la ferme », le Code rural et de la pêche maritime dispose que la production et la commercialisation de biogaz, d'électricité et de chaleur par la méthanisation, est une activité agricole lorsque cette production est issue pour au moins 50 % de matières provenant d’exploitations agricoles, et que plus de 50 % du capital de l’installation est détenu par des agriculteurs. Ces conditions soulignent avec force la volonté du législateur d'encadrer strictement le développement de cette activité en agriculture. En effet, en posant d'une part que l'activité de production et de vente d'énergie verte ne peut être qualifiée d'agricole que pour autant qu'elle est réalisée par un ou plusieurs exploitants agricoles, et en exigeant d'autre part que la production d'énergie par la méthanisation soit issue pour au moins 50 % de matières provenant de leurs exploitations, la loi impose que l'activité principale de l'agriculteur demeure la production de denrées agricoles.
- La méthanisation et les autres filières d’énergie renouvelable. - La méthanisation présente de nombreuses spécificités, liées notamment à :
- sa localisation : les exploitations agricoles sont en général éloignées des réseaux d’électricité ou de gaz, ce qui engendre des coûts de raccordement aux réseaux plus élevés ;
- sa nouveauté : les équipements industriels ne sont pas encore entièrement standardisés. Ils coutent ainsi plus cher que ceux des autres filières d’énergies renouvelables plus « matures » ;
- son modèle financier : les agriculteurs disposent de peu de fonds propres.
- La rentabilité économique de la méthanisation. - Les techniques de méthanisation nécessitent des investissements importants. La rentabilité des installations actuelles repose encore assez largement sur un allègement des coûts, grâce à des aides à l’investissement et des tarifs de rachat de l’électricité spécifiques. Elle repose également sur une valorisation efficiente du digestat et de la chaleur produite conjointement à la production d’électricité. Les travaux sur la normalisation du digestat sont sur le point d’apporter les garanties nécessaires. Et les travaux d’optimisation industrielle rendent les méthaniseurs progressivement de plus en plus performants.
- Les mesures de soutien spécifiques à la filière méthanisation. - Afin que la méthanisation atteigne sa maturité technologique et économique rapidement, il existe des mesures de soutien spécifiques, notamment :
- des exonérations de fiscalité locale ;
- la prise en charge d’une partie des coûts de raccordement aux réseaux par les gestionnaires de réseaux ;
- des garanties sur les prêts octroyés ;
- une prime aux effluents d’élevage, intégrée aux tarifs d’achat de l’électricité produite par la méthanisation ;
- la création du prêt méthanisation agricole, inscrit dans le volet agricole du Grand Plan d’Investissement, ayant pour ambition d’accompagner la réalisation de 400 nouveaux projets dans les prochaines années, pour un montant total de financement d’environ cent millions d’euros.
- Le cadre réglementaire et juridique de la méthanisation. - Les projets de méthanisation peuvent correspondre à différentes configurations, pour lesquelles plusieurs textes s’appliquent. Le cadre réglementaire et juridique de la méthanisation englobe trois groupes de textes : les textes relatifs aux matières premières entrantes (1), les textes relatifs à l'installation elle-même (2) et les textes relatifs aux produits sortants (3).
1. Les textes relatifs aux matières premières entrantes
La réglementation sanitaire : les matières entrantes d’origine animale sont tracées au titre de la réglementation sanitaire, fondée sur le règlement européen concernant la gestion des sous-produits animaux. Cette réglementation vise à garantir la traçabilité et l’absence de retour à la filière alimentaire.
La réglementation environnementale : certaines matières entrantes sont tracées au titre de la réglementation relative aux déchets. Les matières doivent en outre répondre à l’exigence d’innocuité des matières fertilisantes et des supports de culture prévue par le Code rural et de la pêche maritime.
2. Les textes relatifs à l'installation elle-même
La réglementation sanitaire : les établissements transformant des sous-produits animaux doivent obtenir un agrément sanitaire au titre de la réglementation européenne. Cet agrément est obligatoire pour les établissements compostant ou produisant du biogaz à partir de sous-produits animaux. L'installation doit être contrôlé avant son démarrage, afin que l'agrément puisse être délivré à titre provisoire avant l'utilisation effective de sous-produits animaux.
La réglementation environnementale : les unités de méthanisation et de compostage relèvent le plus souvent de la loi de 1976 relative aux installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE), ou du règlement sanitaire départemental, compte tenu :
- de la taille de l'installation (quantité de matières entrantes ou sortantes, puissance installée) ;
- de la qualité des produits traités ou du type de traitement.
- un seuil bas, au-dessus duquel l’installation est soumise à déclaration. En deçà de ce seuil, l'installation n'est pas soumise à la réglementation ICPE. Les dispositions du règlement sanitaire départemental sont alors applicables ;
- un seuil intermédiaire, marquant la limite entre le régime de la déclaration et celui de l’enregistrement ;
- et un seuil haut, au-dessus duquel l'installation est soumise à autorisation.
3. Les textes relatifs aux produits sortants
Les fertilisants organiques : pour pouvoir être mise sur le marché, une matière fertilisante doit répondre à une procédure d'homologation ou de normalisation.
Le biogaz : la réglementation se rapportant à la valorisation du biogaz est liée ses aspects techniques (stockage, transport, combustion du biogaz), juridiques (vente de chaleur à une collectivité ou à un tiers privé) et économiques (tarifs d’achat de l'électricité issue du biogaz).
- Conclusion. - Le gaz représente aujourd’hui environ 20 % de la consommation d’énergie en France. Ses caractéristiques intrinsèques, et en particulier ses facilités de stockage, en font un atout pour le système énergétique français.
Dans le cadre du « Plan Climat », il ne pourra toutefois continuer à occuper une place importante que s’il réduit significativement son impact carbone. La loi de transition énergétique fixe l’objectif que 10 % du gaz soit d’origine renouvelable en 2030, ce qui représenterait douze millions de tonnes de CO2 par an évitées, soit 3 % des émissions françaises.
La contribution principale devrait être apportée par le biogaz. Cette filière représente aujourd’hui en France environ 600 installations. 400 nouvelles installations devraient voir le jour dans les deux prochaines années. Le plan de libération des énergies renouvelables doit permettre à la filière de décoller pour atteindre les objectifs du « Plan Climat » à coût maîtrisé pour le consommateur.
Le Gouvernement a fait le choix de s’appuyer sur les agriculteurs pour accélérer le développement de la filière car ils disposent de la matière première permettant la production de biogaz.