Le sort de l’immobilier d’exploitation dans le cadre de la transmission de la société familiale
Rapporteur général du 114ème Congrès des notaires de France
Comment optimiser la transmission d’une société familiale en dissociant l’immobilier d’exploitation de l’activité opérationnelle transmise ?
Le praticien a le choix entre deux principales techniques d’externalisation de l’immobilier permettant de dégager ou non des liquidités. Quelle que soit la technique mise en œuvre, démembrer la propriété de l’immobilier peut permettre de réduire le coût fiscal de l’opération.
La valeur des biens immobiliers affectés à l’exploitation d’une société familiale est souvent élevée. Aussi, convient-il de s’y intéresser à l’occasion de la transmission des titres sociaux.
Deux hypothèses se rencontrent en pratique :
- l’immobilier est « hors bilan », c’est-à-dire détenu par le dirigeant directement ou par l’intermédiaire d’une société civile immobilière. Dans ce cas, aucune restructuration n’est à envisager avant la transmission. Souvent, l’immeuble d’exploitation est conservé par le dirigeant pour financer une partie de sa retraite. Il est également susceptible d’être attribué aux héritiers non repreneurs, en pleine ou en nue-propriété, dans le cadre d’une donation-partage, réduisant corrélativement la soulte due par les héritiers repreneurs ;
- l’immobilier est inscrit au bilan de la société. Dans cette hypothèse, la question de son externalisation avant la transmission se pose. L’opportunité de cette solution s’apprécie au regard du caractère dissociable de l’immeuble pour la société, du besoin d’allotir les héritiers non repreneurs et du souhait des donateurs de conserver des revenus. L’enjeu de ce choix est également fiscal : si l’immeuble est externalisé, sa transmission isolée ne bénéficie pas de l’abattement de 75 % prévu par l’article 787 B du Code général des impôts.
Dans le cadre de la préparation de la transmission de la société, le praticien doit confronter deux mécanismes :
- les techniques d’externalisation, ayant pour objectif de sortir l’immeuble social du bilan (I) ;
- et les techniques de cash out, ayant pour objectif complémentaire de dégager les liquidités nécessaires au désintéressement des héritiers non repreneurs, en se servant de l’immobilier d’exploitation (II).
I - Les techniques d’externalisation de l’immobilier d’exploitation
a séparation de l’immobilier inscrit à l’actif d’une société fait appel à des techniques sociétaires dont la mise en place et les incidences fiscales sont complexes. L’externalisation peut être réalisée par réduction de capital (A) ou par distribution de dividendes en nature (B).
A - L’externalisation par réduction de capital
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L’externalisation par réduction de capital consiste à attribuer des biens immobiliers aux associés par annulation de tout ou partie de leurs parts.
Cette réduction de capital doit respecter le formalisme légal, et notamment :
- être autorisée aux termes d’une assemblée générale extraordinaire, suivant les règles et quorums prévus pour les modifications statutaires ;
- être précédée d’un rapport du commissaire aux comptes, le cas échéant.
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La sortie de l’immeuble du bilan rend exigible l’impôt sur les plus-values au même titre qu’une vente. La société est redevable de l’impôt sur les sociétés sur la différence entre la valeur vénale de l’immeuble et sa valeur nette comptable, correspondant au prix d’annulation des titres.
En ce qui concerne le dirigeant, la valeur de l’immeuble attribué est en principe imposable au titre des revenus distribués et soumise de plein droit au prélèvement forfaitaire unique (PFU) de 30 % (prélèvements sociaux inclus), sauf option globale du contribuable pour le barème progressif de l’impôt sur le revenu. Seules échappent à cette taxation les sommes correspondant à un remboursement d’apport ou de primes d’émission, à la condition toutefois que tous les bénéfices et réserves autres que la réserve légale aient été auparavant répartis (CGI art. 112, 1°). Notons que, lorsque la société a procédé au rachat de ses propres titres en vue de leur annulation, les sommes ou valeurs attribuées à l’associé relèvent du régime des plus-values de cession de valeurs mobilières, et non des revenus distribués (CGI art. 112, 6°). Seule la différence entre la valeur attribuée et la valeur d’acquisition des titres est alors soumise au PFU de 30 %.
L’opération de réduction de capital par attribution de l’immeuble n’entraîne pas, en principe, le paiement de droits d’enregistrement. Toutefois, lorsque la société a procédé au rachat de ses propres titres en vue de leur annulation et que deux actes distincts sont établis, l'un pour le rachat des titres, l'autre pour la réduction du capital, le premier est assujetti au droit de cession des droits sociaux ; le second est enregistré gratuitement.
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L’attribution de l’immeuble est publiée au service de la publicité foncière compétent et donne lieu à la perception de la contribution de sécurité immobilière sur la valeur vénale de l’immeuble. En revanche, la taxe de publicité foncière au taux de 0,715 % n’est pas exigible (CGI art. 678 et 814 C,2°).
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Comptablement, l’attribution de l’immeuble au dirigeant par réduction de capital implique une imputation de la différence entre la valeur vénale des titres annulés et leur valeur nominale sur le montant des réserves. Cette opération ne se conçoit ainsi qu’en présence d’un dirigeant disposant de liquidités importantes, et corrélativement, dans une société disposant d’une trésorerie suffisante.
B - L’externalisation par distribution de dividendes en nature
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La loi n’impose aucune forme relative à la distribution de dividendes. L’assemblée générale peut ainsi décider qu’elle a lieu en nature, même si ce mode de distribution n’est pas prévu dans les statuts (C. com., art. L. 232-12).
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Le notaire assure la publication de l’attribution de l’immeuble au service de la publicité foncière compétent. À la différence de la réduction de capital, la taxe de publicité foncière de 0,715 % est perçue sur la valeur vénale de l’immeuble, à défaut d’existence d’un droit d’enregistrement spécifique.
L’opération entraîne l’imposition de la plus-value pour la société d’exploitation et de la valeur de l’immeuble reçu en tant que dividende pour le dirigeant (au PFU au taux de 30 %, sauf option globale du contribuable pour une taxation au barème progressif de l’impôt sur le revenu). Ainsi, la société doit disposer d’un résultat distribuable suffisant et d’une trésorerie importante pour faire face à la fiscalité en résultant.
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L’attribution directe de l’immeuble présente deux inconvénients :
- elle crée une indivision si l’immeuble est attribué à plusieurs associés ou distribué en plusieurs fois ;
- et, dans une moindre mesure, elle rend exigible la taxe de publicité foncière et la contribution de sécurité immobilière.
- la distribution de dividendes en nature peut alors porter sur les parts de la SCI à laquelle l’immeuble a été apporté ; les associés bénéficiaires de la distribution sont propriétaires de parts sociales divises, susceptibles d’être distribuées de façon échelonnée ;
- l’apport pur et simple de l’immeuble par la société d’exploitation à la SCI est enregistré gratuitement (CGI art. 810 bis) ;
- la distribution ultérieure de dividendes sous forme de parts de la SCI n’engendre pas de publication au fichier immobilier, ni le paiement de la taxe de publicité foncière.
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Comptablement, l’apport de l’immeuble à la SCI fait apparaître un résultat exceptionnel dans les comptes de la société d’exploitation, correspondant à la plus-value constatée, ce qui augmente d’autant le bénéfice distribuable.
Fiscalement, au niveau de la société opérationnelle, l’apport de l’immeuble à la SCI rend la plus-value imposable à l’impôt sur les sociétés. Le dirigeant est personnellement imposé dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers au titre des parts de la SCI distribuées. Néanmoins, le paiement des dividendes en parts de SCI pourra être échelonné : cela permettra de lisser dans le temps l’effort financier du dirigeant puisqu’il ne paiera l’impôt qu’au fur et à mesure des distributions. Cette technique doit ainsi être entreprise suffisamment tôt avant la transmission pour permettre l’entière attribution de l’immeuble au dirigeant.
II - Les techniques de cash out
La vente de l’immobilier d’exploitation est une solution simple et rapide pour dégager de la trésorerie (A). Elle présente néanmoins l’inconvénient d’être définitive, alors qu’une opération de cession-bail ou sale and lease-back permet à la société de recouvrer la propriété à terme (B).
A - La vente de l’immobilier d’exploitation
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Dans les sociétés familiales, il est rare que l’immobilier d’exploitation soit vendu à un tiers. Ce sont fréquemment les dirigeants historiques ou leurs héritiers repreneurs qui l’achètent par l’intermédiaire d’une SCI. Compte tenu des liens entre le vendeur et l’acquéreur, le contrat de vente doit respecter les exigences suivantes :
- d’une part, il convient de respecter la procédure des conventions réglementées ;
- d’autre part, la vente doit être conforme à l’intérêt de la société d’exploitation, c’est-à-dire être consentie à des conditions économiques normales et plus généralement, ne pas lui être préjudiciable. À défaut, la responsabilité civile et, le cas échéant, pénale du dirigeant peut être engagée.
La société s’acquitte de l’impôt sur les sociétés sur la plus-value de cession. Le résultat imposable est calculé par différence entre le prix de cession de l’immeuble et sa valeur nette comptable.
Le cas échéant, la distribution du solde du prix de cession au dirigeant est également assujettie à l’impôt sur le revenu en tant que revenus de capitaux mobiliers.
B - La mise en place d’une cession-bail
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La cession bail ou sale and lease back est une forme particulière de crédit-bail. À la différence d’un crédit-bail classique, le crédit-preneur est déjà propriétaire du bien à financer. Il le vend à l’organisme de financement qui lui consent aussitôt un crédit-bail. Cette technique procure des liquidités à la société, en lui permettant de conserver à terme la propriété des biens immobiliers. Les sommes ainsi perçues pourront être distribuées au dirigeant pour désintéresser ses héritiers non repreneurs.
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Fiscalement, cette opération purement financière n’échappe ni à l’impôt de plus-value pour la société d’exploitation, ni, le cas échéant, à l’impôt de distribution pour le dirigeant. La vente à la société de crédit-bail est exonérée de droit de mutation. Seules la taxe de publicité foncière au taux de 0,715 % et la contribution de sécurité immobilière au taux de 0,1 % sont dues pour les contrats d’une durée supérieure à douze ans. Lors de la levée de l’option, la société d’exploitation est redevable des droits d’enregistrement sur le prix de levée de l’option, quelle que soit la valeur vénale de l’immeuble.
III - Le démembrement de l’immobilier d’exploitation
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Le coût fiscal de l’externalisation de l’immeuble social est susceptible d’être réduit par la technique du démembrement de propriété, quel que soit le modus operandi envisagé. Il s’agit de sortir du bilan uniquement la nue-propriété de l’immeuble, la société d’exploitation en conservant l’usufruit. Cette technique permet en outre à la société de sortir l’immeuble de son patrimoine sans avoir à payer de loyer pour en conserver la jouissance.
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Seule la valeur de la nue-propriété de l’immeuble est prise en compte pour calculer l’assiette de l’impôt sur la plus-value. Pour déterminer le prix de cession de celle-ci, il convient de fixer la valeur économique de l’usufruit. Cette valeur est calculée par rapport à sa durée, étant rappelé qu’un usufruit bénéficiant à une personne morale est limité à trente ans (C. civ. art. 619). Le prix d’acquisition de la nue-propriété correspond à sa valeur nette comptable. Pour la déterminer, il convient de reporter sur la valeur nette comptable de la pleine propriété initiale, le rapport existant entre la valeur de la nue-propriété et celle de l’usufruit à la date de la cession.
La réunion de l'usufruit à la nue-propriété appartenant au dirigeant ne donnera ouverture à aucun impôt ou taxe, cette réunion ayant lieu par l'expiration du temps fixé pour l'usufruit (CGI art. 1133).
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Comptablement, la détention de l’usufruit d’un bien immobilier confère à la société un droit réel sur le bien (C. civ. art. 578 s.), à enregistrer en immobilisation incorporelle. L’usufruit procure des avantages économiques futurs, prenant fin à l’issue du terme prévu. Il est par conséquent amortissable. Au jour du démembrement, l’usufruit acquiert une existence juridique et comptable. Certains auteurs considèrent qu’il est possible de le comptabiliser à sa valeur au jour de la vente et ainsi, de l’amortir sur cette base. Cette analyse est contestable. Elle reviendrait à réévaluer l’usufruit. Or, une telle réévaluation n’est concevable que si elle touche tous les éléments d’actif. Par ailleurs, cette méthode entraîne la constatation d'une plus-value taxable. Ainsi, l’amortissement de l’usufruit doit, semble-t-il, s’effectuer sur la base de sa valeur nette comptable, égale à la différence entre la valeur nette comptable de la pleine propriété et celle de la nue-propriété.
Le conseil :
Compte-tenu de la complexité des montages d’externalisation de l’immobilier d’entreprise, il est judicieux de se saisir de la question en amont du projet de transmission de la société familiale.