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L’agriculture urbaine

Antoine Bouquemont, notaire à Reims
Rapporteur général du 114ème Congrès des notaires de France
Colloque sur l’agriculture urbaine organisé par le Think Tank « Territoire et Consciences » 
 Paris, le 3 juillet 2019 

Associer les termes « Agriculture » et « Ville » peut aujourd'hui sembler paradoxal tant nos cités sont artificialisées et déconnectées du monde rural. Pourtant, depuis presque vingt ans, les projets de production agricole se multiplient au sein des grandes agglomérations françaises. Et ce phénomène s'accélère. L'Association Française d'Agriculture Urbaine Professionnelle (AFAUP) ne recensait que six structures professionnelles en 2013 contre 300 aujourd'hui. Ces projets d'agriculture urbaine, souvent étonnants, parfois même fascinants, engendrent de multiples interrogations.

L'agriculture urbaine peut-elle nourrir les villes ?
Va-t-elle concurrencer l'agriculture traditionnelle ?
La production agricole est-elle vraiment compatible avec les milieux urbains ?
Ne s'agit-il finalement pas d'un simple phénomène de mode, prétexte au greenwashing et créé pour satisfaire la conscience écologique des urbains ?

Autrement posée, la question est la suivante : l'agriculture urbaine est-elle une espèce durable ?

Pour ceux qui n'en sont pas encore convaincus, nous espérons qu'à l'issue de cette lecture, la réponse sera : oui, évidement ! Car, à bien y réfléchir, les services que l'agriculture urbaine rend à la ville sont immenses. Pour n'en citer que quelques-uns : végétalisation des espaces délaissés, renforcement corrélatif de la biodiversité, production alimentaire saine et durable, création de circuits courts, renforcement des liens humains, reconnexion des urbains avec la nature et le monde agricole, création d'emplois, liens économiques avec l'agriculture péri-urbaine et rurale.

Ainsi l'agriculture urbaine remplit trois fonctions essentielles :
  • une fonction économique ;
  • une fonction sociale ;
  • une fonction environnementale.


En outre, l'agriculture urbaine est multiple. Elle peut avoir ou non une vocation marchande. Elle peut être professionnelle ou citoyenne. Elle peut être low tech ou high tech. Elle peut s'épanouir en extérieur ou dans des immeubles bâtis. Elle peut occuper des espaces délaissés tels que les toitures et les friches ou de nouveaux bâtiments spécialement dédiés.
Elle est donc protéiforme et complexe.

Tentons néanmoins d'en définir rapidement les contours.
Le Code rural définit ainsi les activités agricoles (C. rur., art. L.311-1) : « Sont réputées agricoles toutes les activités correspondant à la maîtrise et à l'exploitation d'un cycle biologique de caractère végétal ou animal et constituant une ou plusieurs étapes nécessaires au déroulement de ce cycle ainsi que les activités exercées par un exploitant agricole qui sont dans le prolongement de l'acte de production ou qui ont pour support l'exploitation ». Le fait que l'agriculture urbaine soit exercée en ville ne contredit bien entendu nullement cette définition.

Mais d'autres paramètres doivent être pris en considération.
D'abord, la délimitation du périmètre urbain. Selon l’INSEE, une ville ou unité urbaine est « une commune ou un ensemble de communes présentant une zone de bâti continu comptant au moins 2000 habitants ». Ainsi, des bourgs situés en zone rurale seraient susceptibles d'accueillir des formes d'agriculture urbaine, ce qui peut sembler paradoxal à l'heure actuelle. Ensuite, contrairement à l'agriculture traditionnelle, le lien au sol n'est pas systématique dans l'agriculture urbaine qui s'exerce indifféremment sur des toits, des balcons, des parkings, voire même des containers.
Enfin, la production végétale et animale n'est pas toujours l'objectif principal de l'agriculture urbaine, dont la vocation est très souvent sociale et environnementale. Face à cette diversité, de nombreux rapports répertorient et tentent de classifier les démarches relevant de l'agriculture urbaine.

Citons quatre propositions :
  • La Fabrique écologique considère l'agriculture urbaine comme l'ensemble des formes d'agriculture localisées en ville ou à l'intérieur des villes, dont les produits agricoles et les services qu'elle fournit sont majoritairement destinés aux villes et qui utilisent des ressources naturelles humaines ou financières pouvant entrer en concurrence avec certains usages urbains.

  • L’ADEME propose quant à elle une structuration fondée sur trois grandes catégories : professionnelle, non professionnelle et servicielle. Mais l'agence distingue également les démarches à haute valeur technologique de celles classiques ou encore celles présentant un caractère collectif par rapport à l'approche individuelle.

  • De son côté, AgroParisTech retient quatre critères pour étudier et définir l'agriculture urbaine : la localisation, les fonctionnalités réciproques de l'agriculture et de la ville, les dynamiques locales et agricoles, et les activités telles que fermes urbaines et les jardins collectifs.

  • Enfin, pour le Conseil économique, social et environnemental, l'agriculture urbaine se définit comme tout acte maîtrisant un cycle végétal ou animal se déroulant en milieu intra-urbain, sur des bâtiments, des sous-sols en pleine terre, dans des espaces interstitiels et faisant le lien avec l'agriculture périurbaine et rurale qui se développe dans les mêmes bassins de vie.


L'agriculture urbaine se caractérise par la diversité de ses fonctions, dont certaines relèvent de l'intérêt général. Elle peut ainsi combiner :
  • production alimentaire ;
  • finalité sociale : insertion et cohésion ;
  • finalité environnementale : lutte contre les îlots de chaleur, prévention et valorisation des déchets, gestion de l’eau ;
  • finalité pédagogique : lien entre l'alimentation et l'agriculture, appréhension de la saisonnalité des produits etc.
Des formes marchande à finalité essentiellement commerciale coexistent avec des formes non marchandes sans vocation commerciale.

Pour conclure, l'agriculture urbaine est sans aucun doute un outil déterminant pour les villes durables, dont l'expansion semble inéluctable compte tenu de l'explosion démographique. Si elle n'est pas encore fondamentale dans nos cités contemporaines, notamment eu égard à son caractère faiblement nourricier, elle le sera dans la ville de demain, nous en sommes convaincus. Elle pourrait en effet nourrir plus de 10% de la population mondiale en 2050.

 
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