Publications et Analyses

Imprimer Retour à la liste des publications

L'impôt sur la fortune immobilière et les biens ruraux

Antoine Bouquemont, notaire à Reims
Rapporteur général du 114ème Congrès des notaires de France

Colloque sur la fiscalité agricole organisé par l'université de Bourgogne – Dijon, le 8 mars 2019

La loi fiscale prévoit un certain nombre d'exonérations d'IFI en matière de biens ruraux.

Elles sont tantôt liées à la qualité du défunt ou du successeur, tantôt à la nature des biens transmis ; certaines sont communes aux successions et aux donations.

La présente étude en fait un état des lieux exhaustif.



1. - L'impôt sur la fortune immobilière, régi par les articles 964 à 983 du CGI, s'applique depuis le 1er janvier 2018. Il concerne les actifs immobiliers détenus par les personnes physiques au 1er janvier de chaque année lorsque leur valeur nette excède 1 300 000 €.L'IFI frappe les immeubles, à l'exception de ceux affectés par le contribuable à l'exercice de son activité professionnelle ou mis à la disposition de la société dans laquelle il exerce cette activité. Il concerne également les titres de sociétés pour la fraction de leur valeur correspondant aux immeubles imposables.


2. - L'IFI présente des similitudes avec l'ancien ISF (personnes imposables, barème et seuil d'imposition notamment). Il ne saurait pourtant être restreint à un ISF dont le champ d'application serait limité aux biens immobiliers. Les règles de détermination de l'assiette imposable et la déductibilité très encadrée des dettes en font en effet un impôt entièrement nouveau.Si les exonérations applicables aux bois et forêts, biens ruraux donnés à bail à long terme ou à bail cessible, ainsi qu'aux parts de groupement foncier agricole (GFA) sont maintenues sous les mêmes conditions, certains dispositifs emblématiques de l'ISF n'ont pas été repris dans le cadre de l'IFI. Il s'agit notamment de la réduction d'impôt pour investissement dans une PME (ISF-PME) et de l'exonération Dutreil-ISF.


3.- Dans le cadre du foncier agricole, deux points méritent une attention particulière :
  • le foncier constituant un bien professionnel », exclu de l'IFI sous certaines conditions (1 ) ;
  • et le foncier n'ayant pas le caractère de bien professionnel, également susceptible de bénéficier d'une exonération totale ou partielle lorsque les terres sont louées par bail à long terme (2 ).
 

1. Le foncier professionnel


4.- Une distinction s'opère selon que le propriétaire-exploitant exerce à titre individuel (A) ou en société (B).

A. - L'exercice par l'exploitant en entreprise individuelle

5. - Les conditions de l'exonération. - Les biens professionnels ne sont pas pris en compte dans l'assiette de l'IFI (CGI, art. 975). Le caractère de bien professionnel n'est pas lié à l'inscription des terres au bilan de l'entreprise individuelle. Ainsi, le caractère professionnel n'est pas retenu pour les locaux d'habitation des agriculteurs ni pour les parcelles données à bail à un tiers, même lorsque ces biens sont inscrits à l'actif du bilan. L'inscription au bilan crée néanmoins une présomption de caractère professionnel.Le caractère professionnel des terres est subordonné aux conditions impératives suivantes :
  • les biens sont utilisés dans le cadre de l'activité agricole ;
  • l'activité agricole est exercée par le propriétaire des biens ou son conjoint ;
  • l'activité agricole est exercée à titre principal par le propriétaire des biens ;
  • les biens sont nécessaires à l'exercice de la profession.



6. - Lorsqu'un exploitant exerce simultanément plusieurs professions, l'activité principale s'entend de celle constituant pour le redevable l'essentiel de ses activités économiques en temps passé, même si elle ne dégage pas la plus grande part de ses revenus.Dans l'hypothèse où ce critère ne peut être retenu, par exemple lorsque les diverses activités sont d'égale importance, l'activité principale est celle procurant à l'intéressé la plus grande part de ses revenus.Le critère du revenu prépondérant s'apprécie abstraction faite des revenus fonciers, revenus de capitaux mobiliers, plus-values des particuliers, ou des revenus se rattachant à une activité exercée antérieurement.Cependant, si les différentes activités exercées par l'exploitant sont soit similaires, soit connexes ou complémentaires, elles sont considérées comme une seule et unique profession.
 
Exemples : l'exploitant individuel, les terres et l'IFI
Hubert, exploitant en polyculture dans le cadre d'une entreprise individuelle sur une surface de quarante hectares dont il est propriétaire, est par ailleurs associé d'une EARL exerçant la même activité sur 150 hectares. Les deux activités sont similaires et constituent une profession unique susceptible de bénéficier de l'exonération d'IFI au titre des biens professionnels.
Benjamin exerce une activité commerciale de travaux agricoles à façon. Il exerce par ailleurs une activité de polyculture sur une surface de cinquante hectares dont il est propriétaire. L'activité commerciale constitue son activité principale tant en termes de temps que de revenus. Cependant, l'activité agricole étant complémentaire à l'activité de travaux à façon, l'exploitation agricole utilisant le matériel de l'activité principale, Benjamin exerce une profession unique. Les terres ont ainsi le caractère de biens professionnels au regard de l'IFI.


B. - L'exercice par l'exploitant en société

7. - Lorsque le propriétaire est associé exploitant, le foncier dont il concède la jouissance à la société conserve le caractère de bien professionnel, dès lors que la mise à disposition ou la location ne le prive pas de les utiliser pour les besoins exclusifs de son activité professionnelle à titre principal.Les terres ne possèdent ce caractère professionnel que dans une certaine proportion, dépendant du pourcentage détenu par leur propriétaire, son conjoint ou son concubin notoire et leurs enfants mineurs (membres du foyer fiscal).
 
Exemples : l'exploitant individuel, les terres et l'IFI
Guillaume, associé unique d'une EARL dans laquelle il exerce son activité professionnelle principale, possède 100 hectares de terres d'une valeur de 500 000 € qu'il met à la disposition de cette société. Guillaume détenant 100 % de parts de l'EARL, ses terres constituent un bien professionnel dans leur intégralité.
Les données sont les mêmes que l'exemple précédent, mais Guillaume est associé avec Rachel (sans lien de parenté ni d'alliance entre eux) dans une EARL. Ils détiennent respectivement 75 % et 25 % des parts et exercent tous les deux leur activité principale dans l'EARL. Guillaume ne détenant que 75 % des parts, les terres ne sont considérées comme bien professionnel qu'à concurrence de 375 000 € (500 000 x 75 %). Le solde, soit 125 000 €, entre dans l'assiette de l'IFI.
Les données sont les mêmes que dans l'exemple précédent, mais Rachel met également à la disposition de la société soixante hectares de terres d'une valeur de 300 000 €. Les terres des deux associés ont un caractère professionnel dans la limite du produit de la valeur de la totalité des terres mises à disposition par le pourcentage de participation de chacun, soit : - pour Guillaume : 600 000 € (800 000 x 75 %). La valeur de ses terres étant inférieure à cette limite, elles sont professionnelles pour leur totalité ; - pour Rachel : 200 000 € (800 000 x 25 %). L'excédent, soit 100 000 € (300 000 - 200 000), est éventuellement soumis à l'IFI.


 

2. Le foncier loué par bail à long terme



8. - Les immeubles ruraux loués par bail à long terme peuvent bénéficier d'une exonération totale au titre d'une assimilation à des biens professionnels (A ) ou, à défaut, d'une exonération partielle (B ).

A. - Les immeubles ruraux loués par bail à long terme assimilés à des biens professionnels


9. - Le régime général de l'article 976, III, alinéa 1er du CGI (bail consenti à un exploitant individuel). - Cet article accorde la qualification de biens professionnels aux immeubles ruraux loués par bail à long terme ou par bail cessible lorsque les conditions suivantes sont remplies (36) :
  • le bien est donné soit à bail à long terme, soit à bail cessible ;
  • la durée du bail est au minimum de dix-huit ans ;
  • le bail est consenti par le bailleur à certains membres de sa famille ;
  • le preneur utilise le bien rural dans l'exercice de sa profession principale.
Lorsque ces conditions sont satisfaites, la qualité de biens professionnels est attribuée à la totalité des biens, de sorte que l'exonération est totale. L'assimilation à des biens professionnels est ainsi réservée aux biens ruraux loués à certains proches parents du bailleur, limitativement énumérés par la loi. Il s'agit du conjoint du bailleur, de son partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou de son concubin notoire, de ses frères et sœurs, des ascendants ou descendants ou leurs conjoints respectifs, tant du bailleur que de son conjoint, partenaire ou concubin notoire.
 
Exemple : bail à long terme au profit d'un proche parent exploitant individuel :
Stéphanie loue par bail à long terme à sa sœur Sandrine, exploitante individuelle, 100 hectares de terres d'une valeur de 600 000 €. Les terres ont la qualification de biens professionnels en totalité alors que Stéphanie n'exerce pas d'activité agricole.



10. - Le régime général de l'article 976 V du CGI (exploitation en société). - Cet article accorde la qualification de biens professionnels aux biens ruraux donnés à bail à long terme ou à bail cessible au profit d'une société ou d'un associé de cette société lui apportant son droit au bail ou mettant les biens loués à sa disposition dans les conditions prévues aux articles L. 411-37 et L. 411-38 du Code rural et de la pêche maritime.La société preneur à bail doit être une société à objet principalement agricole contrôlée à plus de 50 % par le bailleur des biens ou par les membres du cercle familial visés ci-dessus. Pour l'appréciation du seuil de 50 %, il convient de prendre en compte le capital et les droits de vote dans les assemblées générales détenus collectivement par l'ensemble des membres du cercle familial.L'exonération attachée à ces biens ruraux est accordée à concurrence du pourcentage de participation détenu par les personnes précitées, exerçant dans la société à laquelle les biens sont loués leur activité professionnelle principale.Ainsi, pour déterminer la fraction exonérée du bien rural, il convient de prendre en compte la seule participation des personnes, membres du groupe familial, exerçant leur activité principale dans la société.
 
Exemple - Bail à long terme au profit d'un proche parent associé exploitant
Les données sont les mêmes que dans l'exemple précédent, mais la location est consentie au profit d'une EARL dont les parts sont intégralement détenues par Sandrine qui y exerce son activité principale. Les terres ont la qualification de biens professionnels en totalité alors que Stéphanie n'exerce aucune activité agricole, dans la mesure où il s'agit d'un bail à long terme consenti à une société à objet principalement agricole contrôlée par un des membres de la famille du bailleur. Sandrine y exerce son activité principale.
Les données sont les mêmes que dans l'exemple précédent, mais Sandrine n'est pas seule associée dans l'EARL. Elle détient 70 % des parts et son frère Hubert en détient le solde en qualité d'associé non exploitant. Les terres ont la qualification de biens professionnels à concurrence de 70 % de leur valeur, soit 420 000 €, c'est-à-dire à proportion de la participation détenue par les associés y exerçant leur activité professionnelle principale.



11. - Le cas particulier des parts de GFA. - Les parts de GFA sont susceptibles de bénéficier d'une exonération totale en tant que biens professionnels sur le fondement de l'article 976 V du CGI. Cet article transpose l'exonération étudiée ci-dessus aux immeubles ruraux détenus par l'intermédiaire d'un groupement foncier agricole.Les conditions sont similaires.Le GFA doit :
  • donner ses immeubles agricoles à bail rural à long terme ou à bail cessible hors du cadre familial dans les conditions du Code rural et de la pêche maritime ;
  • s'interdire le faire-valoir direct ;
  • donner à bail rural à un proche parent du titulaire des parts ;
  • donner en location à une société ou à un associé de cette société lui apportant son droit au bail ou mettant les biens loués à sa disposition dans les conditions prévues aux articles L. 411-37 et L. 411-38 du Code rural et de la pêche maritime.
Le preneur doit utiliser le bien loué dans l'exercice de sa profession principale.Il est exigé que les parts de GFA soient représentatives d'apports constitués par des immeubles ou des droits immobiliers à destination agricole. Par conséquent, les parts représentatives d'apports en numéraire ne bénéficient pas de l'exonération totale en qualité de biens professionnels.Par ailleurs, il est nécessaire que les parts soient détenues depuis au moins deux ans par le redevable au 1er janvier de l'année d'imposition. Ce délai n'est pas exigé du redevable qui, partie au contrat de constitution du groupement a, à ce titre, effectué des apports constitués exclusivement par des immeubles ou des droits immobiliers à destination agricole.RemarqueLa doctrine fiscale admet également que ce délai ne soit pas exigé du redevable ayant effectué de tels apports à l'occasion d'une augmentation du capital du GFA.

B. - Les immeubles ruraux loués par bail à long terme bénéficiant d'une exonération partielle

12. - Le régime général de l'article 976, III, alinéa 2 du CGI. - Cet article prévoit une exonération partielle pour les immeubles ruraux loués par bail à long terme.Les biens ruraux loués qui ne sont pas totalement exonérés peuvent bénéficier d'une exonération partielle, à condition que :
  • le bien fasse l'objet d'un bail rural d'une durée minimale de 18 ans ou d'un bail cessible hors du cadre familial ;
  • le bail ne prive pas les descendants majeurs du preneur du droit au maintien du bail à leur profit.
Le montant de l'exonération est le suivant : les biens sont exonérés à concurrence des trois quarts de leur valeur lorsque celle-ci n'excède pas 101 897 €, et à concurrence de la moitié de leur valeur au-delà de cette limite.


13. - En pratique, l'exonération partielle s'applique lorsque les biens sont loués à des personnes autres que celles visées à l'article 976, III, alinéa 1er, du CGI ou lorsque le bail est consenti à l'une de ces personnes, mais que celle-ci ne l'utilise pas dans le cadre de sa profession principale.S'agissant du renouvellement du bail, une réponse ministérielle confirme l'application de l'exonération aux biens ruraux dont le bail conclu à l'origine pour dix-huit ans est renouvelé pour une durée de neuf ans.


14.- Cette exonération est transposée aux parts de GFA à caractère non professionnel.Les conditions à respecter pour le GFA sont :
  • l'interdiction statutaire d'exploiter en faire-valoir direct ;
  • l'obligation de donner les immeubles à bail à long terme ou à bail cessible pour une durée minimum de dix-huit ans ;
  • que le bail ne prive pas les descendants majeurs du droit au maintien du bail à leur profit.
Les parts doivent par ailleurs être détenues depuis au minimum deux ans, sauf exceptions visées ci-dessus (apports de biens agricoles).Le montant de l'exonération est identique.Le législateur semble par ailleurs avoir étendu le bénéfice de l'exonération aux parts représentatives d'apports en numéraire.Conseil pratiquePour les redevables qui détiennent à la fois des parts de GFA non exploitants et des biens ruraux loués à long terme ou à bail cessible, la limite de 101 897 € s'apprécie distinctement pour chaque catégorie de biens.

 
Retour à la liste